S’inquiète-t-on autant de l’assèchement d’un ruisseau que de celui d’une rivière ? S’inquiète-t-on tout court de la raréfaction de l’eau et est-ce grave qu’un ruisseau disparaisse, tout particulièrement quand il est situé dans des zones reculées, quasi blanches ? Ces beaux rus, bien souvent appréciés et fréquentés par les promeneurs de tous genres pour leur fraîcheur, leur place dans le paysage, leur esthétique naturelle, sont aujourd’hui les cibles régulières de baisse de niveau d’eau et menacés d’extinction à court terme. Au-delà des raisons climatiques que l’on connaît bien, d’autres facteurs, relevant du choix politique d’aménagement du territoire et d’un certain mépris pour ces eaux de l’ombre, laissent sciemment périr ces sinueux et indomptables cours. La logique des cycles naturels assène dur comme du fer que tout est mortel, tout a une fin, et que pour autant les vaches continuent de paître. Alors, à quoi bon donc conserver ces non-essentiels, ces sources peu prolixes à l’alimentation de la chaîne de production ? « Les petits ruisseaux font les grandes rivières » chantait Jeanne Moreau. Cette roucoulade tendre aux promesses de mélanges ne semble plus opérante, refusant à l’enfance de l’eau sa naturelle et nécessaire ascension sociétale.
Il en est un peu de même avec le secteur culturel et associatif. Les lieux, compagnies, festivals, qu’ils soient tout juste nés ou pas de la dernière pluie, ont vu ces dernières années une érosion de leur financement public. Même si des sentiments d’injustices et de colères froides les traversaient, chacun·e s’est adapté·e, creusant par-ci, par-là dans leurs poches peu garnies pour défendre un paysage diversifié et vivace, fourmillant de ruisseaux, flâneurs, vallons. Mais voilà que soufflent encore des feux de coupes budgétaires, piétinant les efforts collectifs, brisant un peu plus les échelons reliant le petit au massif, l’enfant à l’aïeul.
Si nous ne pouvons feindre nos flippes face à l’état de ce drôle de monde et aux difficiles lendemains qu’il réserve à chacun·es, notre élan à ouvrir notre lieu-ruisseau pour sa 25ème saison reste intact. Un souffle de vitalité nous gagne même, une urgence à trouver et ouvrir des passages peu empruntés ; l’eau et l’art aiment en effet la faufilade, cette façon de s’immiscer dans les interstices abrupts et les creux oubliés pour y partager doucement fleurs, questions, pitreries, contradictions avec les inconnu·es qui y nichent et ceux qui voudront bien les rejoindre. Plus que jamais nous ouvrirons donc notre petit théâtre à des artistes, des pas dans le cadre et des subventionné·es, des baroques et des punks, des jeunes écritures et des plus taillées, des queers et des hétéros, de gauches et de droites. Plus que jamais nous ouvrirons notre lieu à tous vents et tous styles pour que chaque spectateur·rice, habitué·e et rare, de passage et éloigné·e puisse y prendre un peu d’air, une émotion, un plat fait maison, et râler quand bon lui semble. D’ailleurs, il faut vous prévenir qu’après de longues discussions avec notre conseil d’administration, nos partenaires et les ami·es, nous nous sommes résolus à augmenter d’un euro nos tarifs plein et réduit. Si ce geste permettra peut-être de contenir l’érosion de nos finances, nous l’imaginons comme une façon de se soutenir les un·es et les autres, d’inventer une économie de partage et de combats entre spectateur·rices, organisateur·rices, artistes. Au grand plaisir de vous accueillir dans notre ruisseau pour des pique-niques spectaculaires et des siestes musicales révolutionnaires.
Matthieu Malgrange


