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Septembre 2025

S’inquiète-t-on autant de l’assèchement d’un ruisseau que de celui d’une rivière ? S’inquiète-t-on tout court de la raréfaction de l’eau et est-ce grave qu’un ruisseau disparaisse, tout particulièrement quand il est situé dans des zones reculées, quasi blanches ? Ces beaux rus, bien souvent appréciés et fréquentés par les promeneurs de tous genres pour leur fraîcheur, leur place dans le paysage, leur esthétique naturelle, sont aujourd’hui les cibles régulières de baisse de niveau d’eau et menacés d’extinction à court terme. Au-delà des raisons climatiques que l’on connaît bien, d’autres facteurs, relevant du choix politique d’aménagement du territoire et d’un certain mépris pour ces eaux de l’ombre, laissent sciemment périr ces sinueux et indomptables cours. La logique des cycles naturels assène dur comme du fer que tout est mortel, tout a une fin, et que pour autant les vaches continuent de paître. Alors, à quoi bon donc conserver ces non-essentiels, ces sources peu prolixes à l’alimentation de la chaîne de production ? « Les petits ruisseaux font les grandes rivières » chantait Jeanne Moreau. Cette roucoulade tendre aux promesses de mélanges ne semble plus opérante, refusant à l’enfance de l’eau sa naturelle et nécessaire ascension sociétale.

Il en est un peu de même avec le secteur culturel et associatif. Les lieux, compagnies, festivals, qu’ils soient tout juste nés ou pas de la dernière pluie, ont vu ces dernières années une érosion de leur financement public. Même si des sentiments d’injustices et de colères froides les traversaient, chacun·e s’est adapté·e, creusant par-ci, par-là dans leurs poches peu garnies pour défendre un paysage diversifié et vivace, fourmillant de ruisseaux, flâneurs, vallons. Mais voilà que soufflent encore des feux de coupes budgétaires, piétinant les efforts collectifs, brisant un peu plus les échelons reliant le petit au massif, l’enfant à l’aïeul.

Si nous ne pouvons feindre nos flippes face à l’état de ce drôle de monde et aux difficiles lendemains qu’il réserve à chacun·es, notre élan à ouvrir notre lieu-ruisseau pour sa 25ème saison reste intact. Un souffle de vitalité nous gagne même, une urgence à trouver et ouvrir des passages peu empruntés ; l’eau et l’art aiment en effet la faufilade, cette façon de s’immiscer dans les interstices abrupts et les creux oubliés pour y partager doucement fleurs, questions, pitreries, contradictions avec les inconnu·es qui y nichent et ceux qui voudront bien les rejoindre. Plus que jamais nous ouvrirons donc notre petit théâtre à des artistes, des pas dans le cadre et des subventionné·es, des baroques et des punks, des jeunes écritures et des plus taillées, des queers et des hétéros, de gauches et de droites. Plus que jamais nous ouvrirons notre lieu à tous vents et tous styles pour que chaque spectateur·rice, habitué·e et rare, de passage et éloigné·e puisse y prendre un peu d’air, une émotion, un plat fait maison, et râler quand bon lui semble. D’ailleurs, il faut vous prévenir qu’après de longues discussions avec notre conseil d’administration, nos partenaires et les ami·es, nous nous sommes résolus à augmenter d’un euro nos tarifs plein et réduit. Si ce geste permettra peut-être de contenir l’érosion de nos finances, nous l’imaginons comme une façon de se soutenir les un·es et les autres, d’inventer une économie de partage et de combats entre spectateur·rices, organisateur·rices, artistes. Au grand plaisir de vous accueillir dans notre ruisseau pour des pique-niques spectaculaires et des siestes musicales révolutionnaires.

 Matthieu Malgrange

Janvier 2025

Faut-il se réjouir, désespérer, s’inquiéter, s’en balancer les rois, s’en foutre la mort, trinquer innocemment, craindre le pire, crier à grandes voix, rester à l’écart, commenter, se la couler douce, intriguer, conjecturer… ? À quoi faut-il s’attendre en ce début d’année ? Apparemment, il faut s’attendre à des baisses de subventions drastiques de la part des collectivités territoriales, de l’État, des régions, entre 15 et 70% pour les plus violentes, ce n’est pas rien pour notre économie de bouts de chandelles tenue de haute volée par une fourmilière de militant.e.s qui ne comptent ni leurs heures, ni leurs enthousiasmes.
Et alors, qu’est-ce à dire ? « C’est bien fait pour vous les shootés de la subvention publique ! »

Il faut s’attendre à peu d’empathie sur cette situation. En effet, nous, vous – artistes à tout faire, athlètes affectifs, tâcheron.ne.s et agent.e.s de la culture, intellectuel.le.s à chemise ou Doc Martens, rigolos, chercheur.euse.s, solitaires indépendants, sportifs des sons… – serions déconnecté.e.s, nantis, hors-sol, à l’ouest, comme il est de mise de le lire dans la presse ou les réseaux.
Et alors, qu’est-ce à dire ? « Les concitoyens en ont marre de vous ! »

Il faut s’attendre à des disparitions massives de compagnies, théâtres, lieux alternatifs, micro-entreprises associatives, de celles parmi les plus fragiles, portées haut les mains par des bénévoles ou des temps partiels, de celles sur le terrain du quotidien et du social, debout avant même que l’art ne lève son jour.
Et alors, qu’est-ce à dire ? « Vous n’êtes pas essentiels ! »

Il faut s’attendre à des hausses du prix des timbres, du gaz, de l’électricité, des loyers, de l’huile d’olive, des places de spectacles, des chaussures, de la consultation du médecin, du parking, à moins de frangipane dans la galette et zéro beurre dans les épinards.
Et alors, qu’est-ce à dire ? « Un bon régime ne peut pas faire de mal ! »

Que faut-il faire pour que ces prévisions de malheur tombent de leurs branches ainsi que leurs horribles prédicateur.trice.s ? Que faut-il engager pour modifier cette perception d’un monde sans boussole où serpentent des desseins sombres, où l’argent privé se cache dans des paradis fiscaux pour réjouir quelques-un.e.s tandis que le bien public se retrouve par terre dans le ruisseau telle une part pour les chiens ? Que faut-il engager pour partager mieux, parler mieux, aimer mieux, apprendre mieux, soigner mieux, élever notre niveau de jeu collectif comme dirait Aimé Jacquet ?

Gageons que les voix, corps, langues, qui innervent ce programme et bien d’autres ciels, sauront cuisiner tendrement leur radicalité, les épicer de mystères, d’ivresses, de burlesques, de rouge et noir, pour éveiller quelques échos sensibles à ces itératives interrogations.

Certain.e.s artistes viennent pour la première fois, d’autres sont des habitué.e.s de notre foyer, et s’il fallait chercher un commun à l’ensemble de ce drôle d’équipage aux âges et provenances éclectiques, ce serait du côté de la confiance. Une, aux antipodes des programmes de développement personnel et des sifflements de Kaa dans Le Livre de la jungle, plutôt de celle qui animait nos lointain.e.s ancêtres lorsqu’ils dessinaient sur les parois de leur grotte. Celle de la tape amicale, du regard pétillant, de l’ouverture à l’inconnu, du désir naïf, du cri primal. Nous faisons le souhait que cette nouvelle année penchera du côté lumineux, qu’il vous démangera de passer notre marquise pour dilater les curiosités et échafauder de beaux lendemains.

Matthieu Malgrange

Septembre 2024

Comme l’on aimerait que « Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent », ce serait bien simple et jouissif de pouvoir tout ranger en deux catégories, ceux de gauche et de droite, les optimistes et les pessimistes, les gros, les maigres… et d’enfin savoir qui sommes-je.

J’ai le privilège de passer quelques jours au festival d’Avignon où je m’enivre de spectacles avec la gourmandise des excessifs. Délaissant la chaleur locale, les résultats des élections législatives, les courtes nuits, les papotages, je cours vers l’obscure solitude. Et quasi invisible, replié dans l’inconfort du siège bac, j’écoute avec délectation ou ennui les récits que l’on m’offre. Et de ce côté-là, il est bien difficile de catégoriser le bon de l’ivraie. Au vu de la sincérité, de la maîtrise technique, de l’écriture des projets, de l’énergie déployée, je déclare que tout est bon ! Même si celui-ci tire un peu trop la corde sensible, celui-là est prévisible, cet autre un peu long, manque de chair, de trouble. N’est-ce pas là une façon un peu hautaine, rapide de regarder l’autre, de l’épingler à la va tweet pour s’en dégager comme d’un grain de cailloux dans la chaussure. C’est quoi un regard de spectateur ? 

Ce qui m’a frappé çà et là, en butinant les spectacles, c’est la volonté des acteur.trice.s, auteur.trice.s de prendre soin du spectateur. Ainsi, on m’a lavé les pieds délicieusement du côté d’Ithaque, vernis les ongles délicatement par la main d’une socio-esthéticienne, chanté à l’oreille des poèmes populaires, proposé des trips réflexifs sur les violences sociales et autres humiliations, fait rire avec du pire, le tout en me demandant si ça va, si c’est agréable, si je suis consentant. Je me suis senti une sorte de spectateur en voie de disparition, une personne rare à réparer, à reconstruire, à regarder, à aimer, à parler.

Et ces moments précieux, je les ai partagés avec un grand nombre de spectateuristes, de tous âges, de tous genres, aux origines visiblement variés, et tout aussi joyeux de respirer quasi à l’unisson ces airs adelphes.

Face à cette sourde et virulente violence qui nous entoure, ces partages collectifs, ces théâtres et rassemblements qui s’estiment et se regardent à hauteur d’humain sont aussi nécessaires que consolateurs. Quelque chose est devenu indéchiffrable dans nos rapports sociaux. Qu’il fut en effet difficile ces derniers temps de pouvoir causer écologie, politique, humour, religion, éducation, sans déclencher de l’irréconciliable. 

Nous savons bien que les théâtres, les foyers, les bistrots, les centres culturels, les friches, les rues, ces lieux de culture, d’ouverture à l’autre ne changeront pas les malveillances environnementales, les dénis politiques, les coups bas…, mais dans ces endroits où l’on se serre les fantaisies et les idées, j’ai le sentiment qu’une alternative se construit à bas bruit.

Nous ouvrirons donc cette nouvelle saison dans cette optique grand angle où les artistes chanteront leurs intimités et leurs excentricités, leurs visions déroutantes et émerveillées, leurs pensées fumeuses et irrésistibles pour, contre, avec nous, vous, iels. À cette volonté de diviser le monde, nous prétexterons le droit au grand mélange, celui du pistolet et du creuseur, de la poule et de l’œuf, du coup de lattes et du baiser.

Matthieu Malgrange