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Janvier 2025

Faut-il se réjouir, désespérer, s’inquiéter, s’en balancer les rois, s’en foutre la mort, trinquer innocemment, craindre le pire, crier à grandes voix, rester à l’écart, commenter, se la couler douce, intriguer, conjecturer… ? À quoi faut-il s’attendre en ce début d’année ? Apparemment, il faut s’attendre à des baisses de subventions drastiques de la part des collectivités territoriales, de l’État, des régions, entre 15 et 70% pour les plus violentes, ce n’est pas rien pour notre économie de bouts de chandelles tenue de haute volée par une fourmilière de militant.e.s qui ne comptent ni leurs heures, ni leurs enthousiasmes.
Et alors, qu’est-ce à dire ? « C’est bien fait pour vous les shootés de la subvention publique ! »

Il faut s’attendre à peu d’empathie sur cette situation. En effet, nous, vous – artistes à tout faire, athlètes affectifs, tâcheron.ne.s et agent.e.s de la culture, intellectuel.le.s à chemise ou Doc Martens, rigolos, chercheur.euse.s, solitaires indépendants, sportifs des sons… – serions déconnecté.e.s, nantis, hors-sol, à l’ouest, comme il est de mise de le lire dans la presse ou les réseaux.
Et alors, qu’est-ce à dire ? « Les concitoyens en ont marre de vous ! »

Il faut s’attendre à des disparitions massives de compagnies, théâtres, lieux alternatifs, micro-entreprises associatives, de celles parmi les plus fragiles, portées haut les mains par des bénévoles ou des temps partiels, de celles sur le terrain du quotidien et du social, debout avant même que l’art ne lève son jour.
Et alors, qu’est-ce à dire ? « Vous n’êtes pas essentiels ! »

Il faut s’attendre à des hausses du prix des timbres, du gaz, de l’électricité, des loyers, de l’huile d’olive, des places de spectacles, des chaussures, de la consultation du médecin, du parking, à moins de frangipane dans la galette et zéro beurre dans les épinards.
Et alors, qu’est-ce à dire ? « Un bon régime ne peut pas faire de mal ! »

Que faut-il faire pour que ces prévisions de malheur tombent de leurs branches ainsi que leurs horribles prédicateur.trice.s ? Que faut-il engager pour modifier cette perception d’un monde sans boussole où serpentent des desseins sombres, où l’argent privé se cache dans des paradis fiscaux pour réjouir quelques-un.e.s tandis que le bien public se retrouve par terre dans le ruisseau telle une part pour les chiens ? Que faut-il engager pour partager mieux, parler mieux, aimer mieux, apprendre mieux, soigner mieux, élever notre niveau de jeu collectif comme dirait Aimé Jacquet ?

Gageons que les voix, corps, langues, qui innervent ce programme et bien d’autres ciels, sauront cuisiner tendrement leur radicalité, les épicer de mystères, d’ivresses, de burlesques, de rouge et noir, pour éveiller quelques échos sensibles à ces itératives interrogations.

Certain.e.s artistes viennent pour la première fois, d’autres sont des habitué.e.s de notre foyer, et s’il fallait chercher un commun à l’ensemble de ce drôle d’équipage aux âges et provenances éclectiques, ce serait du côté de la confiance. Une, aux antipodes des programmes de développement personnel et des sifflements de Kaa dans Le Livre de la jungle, plutôt de celle qui animait nos lointain.e.s ancêtres lorsqu’ils dessinaient sur les parois de leur grotte. Celle de la tape amicale, du regard pétillant, de l’ouverture à l’inconnu, du désir naïf, du cri primal. Nous faisons le souhait que cette nouvelle année penchera du côté lumineux, qu’il vous démangera de passer notre marquise pour dilater les curiosités et échafauder de beaux lendemains.

Matthieu Malgrange

Septembre 2024

Comme l’on aimerait que « Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent », ce serait bien simple et jouissif de pouvoir tout ranger en deux catégories, ceux de gauche et de droite, les optimistes et les pessimistes, les gros, les maigres… et d’enfin savoir qui sommes-je.

J’ai le privilège de passer quelques jours au festival d’Avignon où je m’enivre de spectacles avec la gourmandise des excessifs. Délaissant la chaleur locale, les résultats des élections législatives, les courtes nuits, les papotages, je cours vers l’obscure solitude. Et quasi invisible, replié dans l’inconfort du siège bac, j’écoute avec délectation ou ennui les récits que l’on m’offre. Et de ce côté-là, il est bien difficile de catégoriser le bon de l’ivraie. Au vu de la sincérité, de la maîtrise technique, de l’écriture des projets, de l’énergie déployée, je déclare que tout est bon ! Même si celui-ci tire un peu trop la corde sensible, celui-là est prévisible, cet autre un peu long, manque de chair, de trouble. N’est-ce pas là une façon un peu hautaine, rapide de regarder l’autre, de l’épingler à la va tweet pour s’en dégager comme d’un grain de cailloux dans la chaussure. C’est quoi un regard de spectateur ? 

Ce qui m’a frappé çà et là, en butinant les spectacles, c’est la volonté des acteur.trice.s, auteur.trice.s de prendre soin du spectateur. Ainsi, on m’a lavé les pieds délicieusement du côté d’Ithaque, vernis les ongles délicatement par la main d’une socio-esthéticienne, chanté à l’oreille des poèmes populaires, proposé des trips réflexifs sur les violences sociales et autres humiliations, fait rire avec du pire, le tout en me demandant si ça va, si c’est agréable, si je suis consentant. Je me suis senti une sorte de spectateur en voie de disparition, une personne rare à réparer, à reconstruire, à regarder, à aimer, à parler.

Et ces moments précieux, je les ai partagés avec un grand nombre de spectateuristes, de tous âges, de tous genres, aux origines visiblement variés, et tout aussi joyeux de respirer quasi à l’unisson ces airs adelphes.

Face à cette sourde et virulente violence qui nous entoure, ces partages collectifs, ces théâtres et rassemblements qui s’estiment et se regardent à hauteur d’humain sont aussi nécessaires que consolateurs. Quelque chose est devenu indéchiffrable dans nos rapports sociaux. Qu’il fut en effet difficile ces derniers temps de pouvoir causer écologie, politique, humour, religion, éducation, sans déclencher de l’irréconciliable. 

Nous savons bien que les théâtres, les foyers, les bistrots, les centres culturels, les friches, les rues, ces lieux de culture, d’ouverture à l’autre ne changeront pas les malveillances environnementales, les dénis politiques, les coups bas…, mais dans ces endroits où l’on se serre les fantaisies et les idées, j’ai le sentiment qu’une alternative se construit à bas bruit.

Nous ouvrirons donc cette nouvelle saison dans cette optique grand angle où les artistes chanteront leurs intimités et leurs excentricités, leurs visions déroutantes et émerveillées, leurs pensées fumeuses et irrésistibles pour, contre, avec nous, vous, iels. À cette volonté de diviser le monde, nous prétexterons le droit au grand mélange, celui du pistolet et du creuseur, de la poule et de l’œuf, du coup de lattes et du baiser.

Matthieu Malgrange